Enjeux locaux et nationaux mêlés à la Libération. « Inauguration de l’exposition de la Renaissance française à Saint-Denis (Réalisation anonyme, 1945) |
La deuxième vague rouge : "la banlieue nationale"
En 1939, le pacte germano-soviétique, et l’interdiction du PCF entraînent la destitution des mairies communistes et leur prise en main par les préfectures.
À la Libération, les communistes participent aux premiers gouvernements de la France libre. Leur rôle dans la Résistance et celui de l’URSS parmi les Alliés leur confèrent un énorme prestige. Électoralement, le PCF est alors le premier parti de France et ses dirigeants devenus ministres sont pour beaucoup des élus de la banlieue rouge, à l’instar de Maurice Thorez, député d’Ivry-sur-Seine et vice-président du Conseil. Forts de cette influence, ils impulsent la Reconstruction et les municipalités communistes s’engagent à l’unisson : ravitaillement de la population, soutien aux sinistrés, réorganisation des services municipaux, reconstruction du bâti et du potentiel industriel…
Comme l’écrivent Marie-Hélène Bacqué et Sylvie Fol, « Dans cette période de reconstruction, puis de croissance économique, la dynamique du progrès pour tous semble acquise ; enjeux locaux et nationaux sont étroitement liés (...) la représentation sociale d’une classe ouvrière exclue de la société s’estompe au profit d’un parti-pris d’intégration que les municipalités communistes mettront en œuvre dans tous les domaines de la vie sociale (…) par l’accès au logement, la scolarité, la culture »1.
Les bastions de la guerre froide
À partir de l’été 1947, la guerre froide contraint le PCF à siéger dans l’opposition. Durablement isolé dans le jeu politique, il campe fortement dans ses bastions de la banlieue rouge : son ancrage historique est son principal vivier en militants et en moyens.
Dans l’affrontement idéologique exacerbé de la guerre froide, les municipalités communistes affichent leur soutien au bloc soviétique et radicalisent leur discours. Elles incarnent à nouveau les cités avant-gardistes de la classe ouvrière au pouvoir, elles servent de base et de renfort aux luttes du PCF et apportent leur soutien aux grèves et aux manifestations qui font l’âpre chronique de la France en guerre froide : grèves de 1947, 1948 et 1953, opposition à la guerre d’Indochine, à la guerre de Corée, campagne de mobilisation contre la bombe atomique et contre l’OTAN, etc.
Soutien municipal aux luttes ouvrières.
Extrait de La Grande lutte des mineurs (collectif, attribué à Louis Daquin, 1948)
La fête de l’Humanité à Vincennes, un bouillon de culture rouge.
Extrait de Fête de l’Humanité 1953 (Marion Bourgogne, 1953)
Le repli et la continuité d'une "contre société"
Cependant, l’assise du PCF en banlieue rouge se maintient et les municipalités assurent, vaille que vaille, la continuité de leur œuvre sociale auprès de leur population. Elles bénéficient en cela de la stabilité de leurs élus, ainsi que des liens de coopération inter-partisans que ceux-ci ont tissé au fil des mandats avec d’autres communes comme avec leur tutelle étatique2.
De son côté, le réseau militant du PCF maille les lieux d’habitation et de travail sur le territoire de la commune, tandis que son réseau associatif étend son influence dans tous les domaines de la vie sociale et culturelle. C’est le cas des organisations de masse que sont l’Union des femmes françaises, la Confédération nationale des locataires, la FSGT, le Mouvement de la paix ou encore l’association France-URSS. Ces « orga » affichent des objectifs sociaux, culturels ou démocratiques qui permettent au PCF et aux mairies de rassembler « plus large ». C’est aussi le rôle joué par les fêtes, les commémorations historiques, les rencontres sportives, les inaugurations de plaques de rues qui entretiennent une « hyper politisation du quotidien »3. Si bien que l’historienne Annie Kriegel4 a pu qualifier de « contre société » l’environnement réel et symbolique des villes rouges, adossé en même temps qu’opposé à la société française et à son ordre établi.
1 Marie-Hélène Bacqué et Sylvie Fol, Le devenir des banlieues rouges, Coll. Habitat et sociétés, L’Harmattan, 1997, pp. 58-61.
2 À ce sujet, on peut lire en particulier la contribution d’Emmanuel Bellanger, « Le « Communisme municipal » ou le réformisme officieux en banlieue rouge », pp. 27-52 in Emmanuel Bellanger et Julian Mischi Dir., Les Territoires du communisme – Élus locaux, politiques publiques et sociabilités militantes, Coll. Recherches, Armand Colin, 2013.
3 Sylvie Rab, « L’aménagement sportif de la banlieue parisienne dans les années trente », Spirales, N°5, février 1992, pp. 25-31.
4 Annie Kriegel, Les communistes français dans leur premier demi-siècle, 1920-1970, Paris, Le Seuil, 1985