1er mai
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- 1954-1967 : images des Premiers mai interdits
Des militants indépendantistes algériens du MTLD lors du rassemblement du 1er mai 1954 (1er mai 1954, rassemblement dans la clairière de Reuilly ; anonyme, 1954) |
Guerre d’Algérie et Premiers mai interdits
Les paragraphes qui suivent sont extraits d’un article à retrouver en intégralité dans la rubrique Ressources du site.1
Le 14 juillet 1953, les organisations du mouvement ouvrier, PCF et CGT en tête, défilent sur le trajet emblématique "Bastille-Nation". Derrière le cortège syndical, plusieurs milliers de militants nationalistes algériens du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) ferment la marche. Ils scandent "À bas le colonialisme" et divers mots d'ordre en faveur de l'indépendance. À l'arrivée place de la Nation, alors que le gros de la manifestation a déjà commencé à se disperser, la police exige le retrait du portrait de Messali Hadj, le dirigeant du MTLD, alors emprisonné. Les manifestants refusent, la police charge, la manifestation se transforme en émeute, la police ouvre le feu sans sommation. Sept personnes meurent sous les balles, six militants du MTLD et un militant de la CGT. Plus de quarante sont blessées par les coups de feu et coups de matraques.
De 1954 à 1967, le défilé du 1er mai est interdit à Paris.
Le 1er mai 1954, pour contourner l'interdiction, le Paris ouvrier se rassemble dans la clairière de Reuilly, à l'orée du bois de Vincennes, à l'appel de la CGT et du PCF. Un caméraman du parti est présent. Les rushes tournés ce jour-là, non montés, montrent la foule nombreuse massée autour d'une estrade, ornée de drapeaux rouges et tricolores. A la tribune, des dirigeants d'envergure nationale et des figures parisiennes se relaient : la direction du parti est représentée par Jeannette Vermeersch et Jacques Duclos, qui encadrent Raymond Guyot (secrétaire de la fédération de Paris du PCF) ; Benoît Frachon (secrétaire général de la CGT) laisse la place à Eugène Hénaff, secrétaire de l'union des syndicats de la Région Parisienne. Au loin, perdue dans la foule, on distingue une très large banderole du MTLD, ornée d'une effigie de Messali Hadj. La caméra lui consacre un plan quelques instants plus tard ; on voit très nettement le groupe compact des militants du MTLD, arborant au revers de leur veste un insigne avec le visage de Messali Hadj.
Le 1er mai 1955, le rassemblement, qui se tient au même endroit, est encore filmé. La caméra s'attarde sur les visages de vieux travailleurs en casquette et d'enfants. Des jeunes gens dansent une ronde. Soudain surgissent dans le champ des banderoles « A bas le statut de l'Algérie », « L'indépendance de l'Algérie est inéluctable », «Vive le mouvement national algérien ». La scène dure à peine trois secondes, puis l'opérateur baisse sa caméra et cesse de filmer. Ce passage est curieux : trop court pour témoigner d'une envie d'accorder trop d'importance à ces revendications, mais trop long pour laisser croire à un accident, puisqu'on a le temps de lire les inscriptions sur les banderoles. Les porteurs de ces banderoles ne sont pas identifiables ; il s'agit selon toute probabilité de partisans du MNA (Mouvement National Algérien, issu du MTLD disparu à la fin de l'année 1954). Les images suivantes montrent les orateurs de la CGT à la tribune et la foule nombreuse dans la clairière ; elles ne laissent plus de place aux slogans nationalistes.
Le 1er mai 1956, les opérateurs du PCF et la CGT sont à nouveau dans le bois de Vincennes. Cette fois, aucune trace de revendications indépendantistes algériennes. La seule allusion au conflit tient en trois mots entraperçus : "Paix en Algérie". Mais il s'agit là du mot d'ordre officiel adopté par le PCF, pas d'un slogan des nationalistes algériens. Il est d'ailleurs "noyé dans la masse", à la fin d'une banderole de 4 lignes demandant l'unité syndicale et l'augmentation des salaires.
Banderoles pour l'indépendance de l'Algérie au rassemblement du 1er mai 1955 (1er mai 1955, ex meeting de la CGT ; anonyme, 1955) |
Militants du MLTD (1er mai 1954, rassemblement dans la clairière de Reuilly ; anonyme, 1954) |
Ces images entrevues des revendications du peuple algérien sont rares et précieuses à plus d'un titre. Jamais, on s'en doute, de telles images n'auraient été filmées par les Actualités françaises ; pas étonnant donc qu'il faille les chercher dans les archives militantes. Toutefois, l’ambiguïté de la position des communistes français sur l'indépendance de l'Algérie laisse songeur sur le statut de ces fragments. On ne sait pas si l'irruption de ces revendications est un incident que la caméra se contente de tolérer, ou un acte concerté qu'elle soutient en le filmant. La récurrence de ce surgissement en 1954 et 1955 irait plutôt dans ce sens. D'ailleurs, on peut noter une évolution : en 1954, la séquence est assez longue et les militants du MTLD font l'objet d'un portrait de groupe, quand le jaillissement des banderoles de 1955 a des allures plus clandestines. Ces images n'ont jamais été vues à l'époque : au milieu de la guerre froide et des luttes d'indépendance, le cinéma militant vivait alors des moments difficiles, se heurtant à des problèmes financiers et à une censure accrue. Cela explique sans doute que les rushes tournés ces jours de mai 1954 et 1955 n'aient pas été montés.
Zooms
Cet objet mouvant et distendu qu’est une manifestation ne se laisse guère aisément saisir dans sa globalité, obligeant à des angles et des choix propres à signifier son sens attendu ou privilégiant au contraire l’insolite ou l’inattendu. Les films de commande privilégient les plans propres à illustrer les objectifs des organisations concernées. Les films anonymes ne dérogent pas à ce principe (dirigeants, plans appuyés sur les banderoles unitaires ou le terme Unité au faîte des tribunes) mais s’attardent parfois sur des aspects n’ayant pas la même évidence. Tous donnent à mieux comprendre certaines des fonctions du Premier mai.
Ciné-Archives conserve plusieurs films, anonymes ou non, tournés le 1er mai dans des villes industrielles moyennes, par des cinéastes pour certains amateurs. À Roubaix en 1966, les seules images ne sauraient permettre d’identifier ce rassemblement de faible ampleur comme un premier mai. Leur auteur Pierre Charret, ancien résistant, instituteur et militant communiste, a mené pendant 5 ans un ambitieux projet d’actualités régionales militantes, documentant chaque événement militant autour de Lille et Roubaix, étendant son périmètre jusqu’à une étude sur les conditions de vie des dockers de Dunkerque. Le film tourné en 1970 à Saint-Pierre-des-Corps par le cheminot Dominique Maugars donne à voir les prolongements festifs du cortège. La manifestation Cadoux pour l’emploi (tournée en 1977 par le même cinéaste) montre le rôle logistique de certaines entreprises dans leur préparation. Le film tourné à Roubaix et celui relatif au débrayage aux usines Dassault-Saint-Cloud, le 28 avril 1970 pour la préparation du Premier mai, montrent comment il s'articule avec les luttes au présent. Les plans tournés par Marcel Trillat et Hubert Knapp du premier mai 1967 à Saint-Nazaire, visibles dans La CGT en mai (Paul Seban, 1968), ou Libérez le parisien (Jean-Louis Muller, 1977) témoignent de la façon dont des entreprises engagées dans des luttes devenues emblématiques sont mises à l’honneur dans les cortèges interprofessionnels.
En 1986, le film anonyme se focalise principalement sur les groupes étrangers : Iran, Kurdistan, Turquie, Chili, Palestine, Nicaragua, Mexique…
Le 1er mai 1967 à Saint-Nazaire, filmé par Marcel Trillat et Hubert Knapp, ultérieurement intégré au montage de La CGT en mai (Paul Seban, 1968) |
1. Marion Boulestreau, « Guerre d'Algérie et 1er mai interdit, en quelques fragments de films ». Texte initialement publié sur le blog Mediapart de Ciné-Archives en mai 2020.
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Parcours rédigé par Danielle Tartakowsky, professeure d’histoire, présidente de Ciné-Archives