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Articles et publications

1936 : quand le cinéma faisait politique et que la politique faisait cinéma

Par Danielle Tartakowsky

Pendant le Front populaire, les organisations ouvrières se dotent d'outils de production et de diffusion de films.

La France des années vingt demeure marquée par une conception pédagogique de la politique fondée sur l’écrit. Peu avant l’avènement du cinéma parlant, les pouvoirs publics, les pacifistes, les catholiques et les communistes manifestent leur intérêt pour une pédagogie et/ou une propagande renouvelées par le cinéma1. Mais qu’on excepte les catholiques2 et la production n’est guère au rendez vous.

La crise ouverte en février 1934, le processus de construction du Rassemblement populaire et sa victoire s’accompagnent d’une puissante mobilisation collective qui leur est consubstantielle. Elle revêt des formes renouvelées à chacune de ces étapes mais requiert des modes d’expression qui s’approprient le répertoire et les outils de la culture de masse. C’est alors et alors seulement que le cinéma s’affirme comme un instrument politique de premier plan pour les composantes du Rassemblement populaire, Parti communiste et CGT en premier lieu, mais également, à la droite de l’échiquier politique, pour les Croix de feu3.

Les romans d’écrivains pourtant ralliés au Front populaire et les films de fiction produits entre 1936 et 1938 sont tous marqués par le romantisme du martyr et une fascination lyrique pour la mort4, incitant certains historiens du cinéma à parler d’un « réalisme poétique »5 parfois qualifié de « populisme tragique »6. Il faut se tourner vers la photographie et vers ces constructions collectives que sont les films commandés par les organisations de Front populaire pour trouver des images conformes à celle qu’elles ont voulu donner de cette expérience politique inédite.

Ces images qui doivent à leurs conditions de distribution d’avoir été longtemps portées disparues, sont redevenues disponibles à la faveur d’un patient travail de collecte et de restauration qu’il convient de saluer. Elles sont en effet d’autant plus précieuses qu’elles infléchissent à plus d’un titre la doxa relative à la filmographie française des années trente, les contributions qui suivent s’attachent à cet aspect, mais également les bouleversements du rapport à la politique alors advenus.

Ces films sont le produit d’une rencontre entre des organisations d’avant garde et le monde des intellectuels et des artistes, tous engagés dans un même combat contre le fascisme et pour la défense de la culture, à l’origine d’une double révolution culturelle et politique. Ils rompent avec les codes qui prévalent alors dans le cinéma de fiction et donnent à voir certaines redéfinitions des pratiques politiques.

La Vie est à nous qui débute dans une salle de classe paraît d’abord épouser les approches pédagogiques caractéristiques la culture politique d’alors. Mais c’est pour mieux introduire ces pratiques nouvelles de la politique que sont la grève, la fête ou la manifestation, qui s’imposent pour telles, comme jamais, après la victoire du Front populaire.

L'Humanité, présentée comme l'instrument par excellence du lien entre le parti et le pays, s'impose pour la figure majeure de l'organisation, dans son expression nationale et centrale. L'élection prochaine ou le rôle des élus ne sont, en revanche, évoqués qu'au détour d'un discours ou d’un panneau électoral; sans appel au vote ou, du reste, à l'adhésion quand il s’agit pourtant d’un film réalisé pour la campagne électorale, une première dans l’histoire politique de la France. La logique partisane et organisationnelle est donc faible et la politique avant tout présentée comme une modalité du lien social altéré par la crise. Ces caractères demeurent dans les films communistes postérieurs à la victoire.

Représenter le Front populaire comme un mouvement de masse ou un mythe social est aisé. Représenter la politique, plus délicat. Pour des raisons propres à l'image (comment la figurer autrement que par le discours?) mais, à plus fort titre, du fait des contradictions internes à l'expérience de Front populaire et de celles qui l'opposent à ses adversaires, qu'aucune des composantes de l'alliance ne veut exacerber. Une fois la victoire acquise, le PCF résout la contradiction en privilégiant les images de fêtes de toute espèce, évitant ce qui divise ou différencie. C'est à la CGT, cette expression organique la meilleure d'un Front populaire qui en est dépourvu, qu'il revient d'unifier, dans la rue ou par l'image, où si nécessaire, de formuler des critiques.

Dans La Vie est à nous, c’est la section communiste qui mène la grève. Les films réalisés par des fédérations ou unions syndicales de la CGT présentent, paradoxalement, un caractère plus politique, dans sa large acception. Sur les routes d'acier et Les Bâtisseurs affirment la responsabilité nationale de syndicats participant, à leur manière, "aux affaires de la Nation", du moins concernés par elles. Avec une tonalité qui s'apparente à celle de partis de gouvernement. La fédération des cheminots s'érige en sujet du progrès, à l'égal de l'entreprise à laquelle elle s'assimile. Celle du bâtiment institue le gouvernement en interlocuteur auquel elle réclame des grands travaux, en des termes laissant à penser qu'elle croit pouvoir être entendue. Les Métallos qui doit à sa réalisation plus tardive et aux choix de l'UIMM d'être plus critique désigne le patronat et lui seul en adversaire et fait peu de place à la politique, n'était pour dénoncer les cagoulards, alliés au patronat. La critique des choix gouvernementaux n'est explicite que dans La Relève, dernier en date, exprimée, du moins, sur un mode impersonnel : sous l'espèce d'une comparaison entre le programme du Front populaire et ce qui reste à faire, conservant au gouvernement, jamais nommé, un possible statut d'interlocuteur, non d'adversaire. Ces différences d’approche ne doivent pas à la seule dégradation rapide du rapport des forces à l’échelle nationale et internationale. Elles révèlent la coexistence de cultures corporatives spécifiques au sein de la confédération. Cela n’interdit pas leur commune solidarité avec l'Espagne républicaine quand la politique fait irruption sous des formes devenues redoutables, attestant d’une solidarité internationale, constitutive du syndicalisme. Et c’est encore à la CGT qu’il reviendra de réaliser La Marseillaise, film fictionnel, qui n'en traite pas moins de la construction d'un mouvement de masse unifié et de l'unité nationale, politiques au plus haut chef.

Danielle Tartakowsky

Professeure d'histoire contemporaine, Université Paris 8

 

1 Dimitri Vezyroglou, Le Cinéma en France à la veille du parlant, Paris, CNRS Editions, 2011.

2 Melisande Leventopoulos, Les catholiques et le cinéma. La construction d’un regard critique (France, 1895-1958), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.

3 Jacques Nobécourt, Le Colonel de la Rocque, ou les pièges du nationalisme chrétien, Fayard, Paris, 1996

4 Géraldi LEROY, Anne ROCHE, Les écrivains et le Front populaire, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1986

5 François Garçon, De Blum à Pétain, cinéma et société française 1936-1944, le Cerf, 1984

6 Pierre Billard, L'Âge classique du cinéma français, Flammarion, 1995

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