Front populaire
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- Un nouveau cinéma militant (2)
Entretien avec Pascal Ory, professeur d’Histoire contemporaine à la Sorbonne (Paris I)
Charles Blavette, l'interprète de Toni, tient à nouveau un rôle dans La Vie est à nous en 1936 |
Qui participe à la fabrication de ces films ?
Des techniciens syndiqués à la CGT réunifiée, qui sont nombreux et mobilisables depuis les grèves.
Pour les réalisateurs, il s’agit de démarches plus individuelles : Jean Epstein ou Germaine Dulac, ont toujours été des dissidents du système (à l’Avant-Garde des années 1920, ils touchent en 1936 à la fin de leur carrière).
Il y a aussi l’effet école de ce cinéma : des gens comme Jacques Becker ou Jean-Paul Dreyfus (Le Chanois) débutent vraiment dans la réalisation par ce biais-là.
Le cas de Jean Renoir est remarquable, car c’est l’un des rares cinéastes à circuler sans encombres du cinéma commercial au cinéma militant , à réaliser successivement le film électoral du PCF en 1936 La Vie est à nous et La Grande Illusion, succès en salles en 1937. Depuis la réalisation de Toni (1934) et du Crime de M. Lange (1935), on peut penser qu’il est entré dans une phase d’engagement à gauche, ou tout simplement qu’il adhère au mouvement de l’Histoire.
Où voit-on ces films pendant le Front Populaire ?
A cette époque, le circuit cinématographique est entièrement privé, et il n’existe pas de salles d’Etat. La diffusion de ces films demeure donc pour l’essentiel, à la marge : dans les meetings et les fêtes du PCF, de la CGT, de l’Association des amis de l’URSS, de Mai 1936.
La donne change-t-elle à partir de mai/juin 1936 ?
Pas vraiment, car le gouvernement du Front Populaire n’a pas le temps, avant 1939, de mettre en place une politique publique du cinéma. La censure demeure à peu près telle quelle (L’interdiction de La Vie est à nous n’est pas levée), et le circuit cinématographique reste entièrement privé. Mais les réflexions produites par le Front populaire en matière de réglementation publique et d’intervention de l’Etat dans le cinéma ne resteront pas lettre morte et sont à l’origine de l’actuel Centre national du cinéma.
La presse communiste de l'époque atteste de la circulation des films en séances privées (ici l'Humanité du 17 septembre 1937) |
1936 - Les studios Eclair d'Epinay en grève |
Quel aspect vous frappe aujourd’hui dans cette production militante du Front Populaire ?
Même si cette production, sur trois ans, est restée confinée à un circuit militant, elle a été un fait nouveau et exceptionnel, qui témoigne, avec la syndicalisation massive des techniciens du film, d’un degré étonnamment élevé de mobilisation et d’engagement des gens de cinéma. Des professions techniques, mais aussi des écrivains, des musiciens, qui collaborent à la réalisation de ces films.
Cet engagement se signale d’ailleurs aussi dans le cinéma commercial : à voir La Grande Illusion, succès en salles produit par une société privée, on est frappé de constater à quel point c’est clairement un film de gauche. Et des films comme La belle équipe de Duvivier ou Le Crime de Monsieur Lange de Renoir sortis en 1936, sont des films qui racontent quand même l’histoire de gens essayant de monter une coopérative.