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Articles et publications

Le PCF, producteur de cinéma

Par Pauline Gallinari

De la Libération au milieu des années 1950, le PCF se dote d'outils de production et de distribution cinématographique. Cette démarche originale vise à soutenir une « propagande par le film » et de promouvoir un cinéma progressiste.



Produire un cinéma progressiste dans l’après-guerre

Après la coopérative Ciné-Liberté, le PCF met en place dès 1937 deux sociétés, les Films populaires et la Marseillaise pour mener à bien ses initiatives cinématographiques. Dès la Libération, le PCF relance sa politique cinématographique en lui donnant encore plus d’ampleur ; le cinéma de Parti doit désormais dépasser les cadres communistes pour toucher un large public. En plus du cinéma militant, le PCF entend œuvrer au développement d'un courant progressiste à l'intérieur du cinéma français, par l'intermédiaire d'un certain nombre de structures cinématographiques. Plus ou moins proches du PCF, elles poursuivent une visée commune, mais de manière assez différente.

À l’automne 1944, la Coopérative générale du cinéma français (CGCF) voit le jour sous le double patronage du Comité de libération du cinéma français2 et de la CGT. Si la CGCF n’est pas à mettre à l’initiative directe du PCF, elle fait vite figure d’organisation satellite. Ouverte à tous les professionnels du cinéma, la CGCF compte parmi ses fondateurs, et ses dirigeants, bon nombre de participants qui sont à la fois résistants, syndicalistes et communistes à l’instar de Louis Daquin, qui est élu Président directeur général de la coopérative. Jeune assistant passé à la réalisation pendant la guerre, Daquin devient communiste en 1941 et s’investit dans la Section cinéma du Front national, qui est intégrée plus tard au Comité de libération du cinéma français. A la Libération, il endosse des responsabilités syndicales en tant que secrétaire général du syndicat des techniciens du film de la CGT spectacle.

Rassemblant six coopératives de branche, qui couvrent l’ensemble des activités cinématographiques, la CGCF a un projet ambitieux. Dans un contexte qui est celui d’une reconstruction, la CGCF entend favoriser un cinéma nouveau, dont la finalité sera culturelle et éducative. Pour le faire exister, la CGCF veut proposer des modalités de production et de diffusion inédites pour transformer l’économie du cinéma par le modèle coopératif.

Profitant de la position centrale du Comité de libération du cinéma français et de la Fédération CGT du spectacle à la Libération, la CGCF a rapidement l’occasion de passer à l’action. Répondant à une demande officielle, les deux premiers films produits sont consacrés à la Résistance : La Bataille du rail (René Clément) et Au cœur de l’orage (Jean-Paul Le Chanois)3. Tous deux entamés à l’automne 1944, le premier est achevé fin 1945 et le second fin 1947. Valorisant l’engagement résistant des cheminots, La Bataille du rail rencontre un succès critique et public, qui laisse présager d’une belle continuité. Cependant, la CGCF estime que La Bataille du rail lui a en partie échappé en termes de contenu, du fait de l’ascendant pris par son principal partenaire, la SNCF. C’est pourquoi la Coopérative cherche à garder le contrôle idéologique sur Au cœur de l’orage… Ce qui finit par desservir le film au moment de sa diffusion car il est considéré comme trop marqué politiquement. Dès ses premières productions, la CGCF se retrouve finalement tiraillée entre sa volonté d’un cinéma d’inspiration communiste et la nécessité de compromis dans un champ cinématographique peu enclin aux discours trop engagés. Par ailleurs, la CGCF ne réussit à faire fonctionner véritablement que ses coopératives de branche dédiées à la production, de longs et de courts métrages ; elle n’a donc pas l’impact qu’elle souhaitait sur la reconfiguration économique du cinéma français.

Simultanément, au lendemain de la guerre, le PCF supervise, de façon beaucoup plus directe, la mise en place de sociétés pour produire et diffuser le cinéma de Parti, qui constitue un autre volet du cinéma progressiste. Plus militant, ce cinéma doit explicitement relayer le discours communiste. Il y a là reprise et poursuite des expériences cinématographiques de l’entre-deux-guerres, avec un nouvel objectif : faire rayonner le cinéma de Parti au-delà de ses propres rangs.

D’un point de vue juridique, les sociétés de la Libération sont le prolongement de celles qui étaient actives avant la Guerre. Ciné-France prend la suite des Films populaires en 1945 ; n’appartenant pas directement au PCF, cette société gravite dans l’orbite communiste par l’intermédiaire de ses actionnaires et de ses dirigeants. Georges Bruneau, parce qu’il est un militant de longue date, s'en voit confier la gérance alors qu’il n’a pas d’expérience dans le cinéma. Toutes ces évolutions sont supervisées par la direction du PCF, comme l’attestent certains comptes rendus de réunion du Secrétariat ou du Bureau politique ; même s’il n’a pas de responsabilités officielles, il semble que ce soit surtout Jean Jérôme qui s’occupe des questions liées au cinéma4.

Jusqu’en 1948, Ciné-France est le principal instrument de production du PCF. Avec au moins une vingtaine de courts-métrages et un long-métrage5 achevés entre 1945 et 1948, c'est une société active. Elle produit des films essentiellement à la demande du PCF, de ses organisations relais, ou des municipalités communistes. Les stratégies de production de Ciné-France restent difficiles à identifier, même s’il est certain que la société s’appuie beaucoup sur les professionnels du cinéma militants pour trouver les moyens techniques et les ressources humaines qui lui sont nécessaires. Les films sont achevés grâce à des cadreurs et directeurs de la photographie, comme Alain Douarinou ou André Dumaître, à des monteuses, comme Victoria Mercanton, Suzanne de Troeye, Suzanne Sandberg, Paula Neurisse ou Fabienne Tzanck, à des assistants réalisateurs, comme Marc Maurette, et bien sûr à des réalisateurs, comme Louis Daquin, Jean-Paul Le Chanois6 ou Henri Aisner7. Tous communistes, ils apportent leur aide de manière bénévole sur différents courts-métrages, et mettent à profit leur réseau professionnel8.

Les productions de Ciné-France sont dans leur immense majorité des courts métrages militants qui mettent en image le programme politique du PCF, donnent à voir ses grands rassemblements -au premier rang desquels la fête de l’Humanité- ou valorisent les municipalités communistes.

Jusqu’en 1946, Ciné-France s’occupe aussi de diffusion, en tant que distributeur ; peut-être pour répartir les tâches, le Centre de diffusion du film est créé en 1946 pour faire circuler les films produits, ainsi que ceux jugés idéologiquement intéressants, comme les films soviétiques.

Produire un contre-cinéma à l’heure de la Guerre froide

Dès l’Après-guerre, un décalage entre capacité de production et capacité de diffusion peut être constaté. Des films sont produits, mais ils ne parviennent pas à sortir des réseaux communistes, où ils ne sont d’ailleurs pas forcément vus. Avec le basculement dans la période dite de Guerre froide, cette difficulté s’accentue, d’autant que les obstacles institutionnels et financiers se multiplient. Dès la fin des années 1940, la censure devient plus tatillonne par l’intermédiaire de la Commission de contrôle des œuvres cinématographiques, qui donne des avis concernant l’attribution de visa d’exploitation : les refus sont alors systématiques pour les films considérés comme communistes. En conséquence, les sociétés de production les plus proches du PCF se replient sur l’univers communiste pour y développer un contre-cinéma devenu inenvisageable en dehors.

En 1948, le dispositif de production cinématographique est considérablement remanié. A Ciné-France succède Procinex, société qui est le prolongement de la Marseillaise. La même année, la Coopérative de production et de distribution des films, la CPDF, est lancée. Dès le début des années 1950, ce sont donc Procinex et la CPDF qui prennent en charge les initiatives cinématographiques communistes, Procinex s’occupant plutôt de production et la CPDF de distribution.

En 1950, l’arrivée de Claude Jaeger à la tête de Procinex donne un nouvel élan à la société. Grand résistant, communiste, Claude Jager est aussi un homme de cinéma. En assumant des responsabilités importantes au CNC, qui voit le jour en 1946, ce jeune trentenaire participe à la reconstruction du champ cinématographique par la mise en place d’une véritable intervention publique. C’est après avoir été écarté du CNC pour raisons politiques qu’il accepte, à la demande de Jean Jérôme, de diriger Procinex.

Jusqu’au milieu des années 1950, Procinex est une société dynamique : de 1948 à 1953, ce sont au moins une quinzaine de courts-métrages qui sont menés à terme. Pour la plupart militants, ces films continuent à illustrer les grandes causes défendues par le PCF ou les organisations qui en sont proches, comme le Mouvement de la paix. Ils sont toujours produits avec le soutien des professionnels du cinéma communistes, dont les rangs continuent à s’étoffer avec de nouveaux techniciens ou réalisateurs ayant terminé leurs études, tels que Robert Menegoz ou Raymond Vogel.

Dans la sphère communiste, Procinex devient clairement une référence, et un éventuel interlocuteur, pour tout militant qui cherche à réaliser un film. Au début des années 1950, plusieurs cinéastes, amateurs ou professionnels, qui se sont spontanément emparés de la caméra, sollicitent Procinex, généralement lors de la postproduction9.

Parallèlement au cinéma de Parti, Procinex explore d’autres voies cinématographiques. Des courts-métrages comme Mon ami Pierre (Paula Neurisse et Louis Félix, 1951) ou Ma Jeannette et mes copains (Robert Menegoz, 1953) s’inscrivent dans la veine d’un cinéma social, qui peut espérer être diffusé dans les circuits d’exploitation commerciale. De plus, Procinex se tourne vers le cinéma institutionnel. Profitant de ses contacts dans différents ministères, Claude Jaeger s’engage dans la production de films de commande, notamment pour des ministères. Il s’agit sans doute là d’une tactique pour équilibrer les finances de Procinex et pouvoir produire de nouveaux films militants. Par exemple, Des hommes et des montagnes (Jean-Jacques Languepin et Gaston Rébuffat, 1953) est financé par le ministère de l’Éducation nationale et le Commissariat au tourisme ; ce court-métrage obtient la prime à la qualité du CNC et se voit récompenser au festival de Venise.

Plus à la marge du PCF, la CGCF perdure. Dès le début des années 1950, la coopérative rencontre de gros problèmes financiers, qu’elle n’arrive pas à surmonter. Dirigée par un trio communiste, Louis Daquin, Charles Chézeau et Pierre Lévy Corti, la CGCF continue néanmoins à coproduire des courts et des longs métrages10, qui sont rarement politiques, et souvent éloignés d’un cinéma progressiste. L’échec économique de la coopérative est acté par la suppression des coopératives de branche en 1957.

Au même moment, Procinex opère un changement d’orientation. Faisant le constat d’une impasse, Claude Jaeger demande au PCF l’autorisation de la transformer en société de production plus classique, ce qui est accepté. A partir de là, si Procinex apporte épisodiquement son concours aux projets communistes, la société se concentre essentiellement sur des films destinés à l’exploitation commerciale : dès 1955, elle coproduit Cela s’appelle l’aurore réalisé par Luis Buñuel.

Le milieu des années 1950 marque un tournant ; après une décennie très dense sur le plan cinématographique, l’activité ralentit. La CPDF devient l’unique structure cinématographique assurant la production et la distribution des films dans la mouvance communiste jusqu’à la fin des années 1960. Le PCF n’abandonne pas ses ambitions cinématographiques, mais celles-ci sont plus limitées.
 

Pauline Gallinari, maîtresse de conférences en cinéma à l'Institut d'études européennes, Université Paris 8.
 

2 En 1943, le Comité de libération du cinéma français réunit les différents courants résistants existant dans le cinéma français. Très actif au moment de la Libération de Paris, le Comité est une instance importante dans l’immédiat Après-guerre et un interlocuteur incontournable sur la question de la réorganisation du cinéma.

3 Sur la genèse et l’itinéraire de ces deux films, voir Sylvie Lindeperg, Les écrans de l’ombre, la Seconde guerre mondiale dans le cinéma français 1944-69, Paris, CNRS, 1997, 296 p.

4 Michel Feintuch, qui est originaire d’Ukraine occidentale, milite en tant qu’ouvrier communiste dans différents pays, avant de s’établir en France où il devient permanent du PCF en 1933. Adoptant son pseudonyme de résistant à la Libération, Jean Jérôme est un véritable homme de l’ombre dans les années 1950, qui prend en charge les finances du PCF et un volet de sa politique culturelle.

5 Le Point du jour, réalisé par Louis Daquin en 1948.

6 Toujours communiste Après-guerre, Jean-Paul Le Chanois est beaucoup moins actif en termes de cinéma militant par rapport à l’entre-deux-guerres. C’est Louis Daquin qui devient le principal référent pour le PCF dans le cinéma français.

7 Cette liste n’est évidemment pas exhaustive… Après-guerre, le PCF exerce un fort pouvoir d’attraction sur les professionnels travaillant dans le cinéma, dont les métiers sont extrêmement variés. Entre autres exemples, peuvent aussi être cités les compositeurs de musique de films : Jean Wiener et Roger Désormière sont communistes et participent aux films militants.

8 Les monteuses utilisent par exemple des salles de montage où elles travaillent pour monter les films réalisés sous l’égide communiste.

9 C’est le cas par exemple pour le film Terre tunisienne. Pour plus de détails, voir dans cet ouvrage l’article « Terre tunisienne : un chainon manquant du cinéma anticolonial(iste)».

10 La CGCF coproduit par exemple l’Ecole buissonnière (Jean-Paul Le Chanois, 1948), Maitre après Dieu (Louis Daquin, 1950), ou Agence matrimoniale (Jean-Paul Le Chanois, 1951).

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