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Articles et publications

Le PCF au temps de la guerre froide

Par Roger Martelli

Analyse du poids du parti communiste dans la société française d'après-guerre.


La période de la guerre froide est celle de la plus forte implantation du PCF. Ses effectifs restent toujours au-dessus de la barre des 200 000 cartes placées. Il recueille entre un cinquième et un quart des suffrages exprimés et dirige des centaines de municipalités1. Il contrôle la CGT qui, de 1947 à 1955, obtient de 40 % à 60 % des voix aux élections de la Sécurité sociale. Il se trouve à la tête d’une remarquable galaxie « d’organisations de masse », ce qui fait de lui, paradoxalement, l’équivalent français des « contre-sociétés » propres à la social-démocratie de l’Europe du Nord-ouest. On estime, au milieu des années 1950, que 50 % à 60 % des ouvriers votent communiste.

Par le biais de ses ancrages associatifs, syndicaux et municipaux, le PCF exerce une fonction de représentation sociale. Il se veut « le parti de la classe ouvrière » et, de fait, il s’identifie pour beaucoup à l’insertion du monde industriel et urbain dans la nation. Par ailleurs, il use d’un mythe soviétique conforté par Stalingrad pour faire vivre à sa manière le « principe-Espérance », cette foi dans la « Sociale » qui anime le mouvement ouvrier français. Enfin, depuis 1934, il s’est installé dans un discours politique qui concilie une posture à gauche de la gauche et la nécessité de la concentration des gauches.


Le contexte particulier de guerre froide

Il est vrai que, en plein cœur de la guerre froide, la coupure des « blocs » et le face-à-face de l’Est et de l’Ouest brouillent le conflit historique de la gauche et de la droite. « Il n’y a plus : droite et gauche », écrit Marcel Cachin dans ses Carnets, le 4 novembre 1947. « Il n’y a plus la gauche et la droite », répond comme en écho le général de Gaulle, le 17 novembre 1948. « Le communisme n’est pas à gauche, il est à l’Est », affirment les socialistes, avec Edouard Depreux et Guy Mollet. À partir de 1947, tout sépare les communistes et les socialistes : les seconds fustigent les « moscoutaires » et les premiers vomissent le « policier Moch »2.

L’incertitude des repères classiques bénéficie à un PCF jouant sur le registre d’une altérité revendiquée jusqu’à la caricature : le « camp de la guerre » contre le « camp de la paix », le PCF contre tous les autres partis, qu’il rassemble sous l’étiquette de « parti américain ». La rhétorique communiste de guerre froide est à la fois parfaitement binaire et remarquablement formalisée, avec l’appui d’une pléiade d’intellectuels de talent. Picasso offre la force de la colombe au mouvement pour la paix que promeut le PCF et Éluard lui-même lit le texte du film L’Homme que nous aimons le plus. Ajoutons que la rudesse du discours renvoie, pour quelque temps encore, à un état particulier de l’histoire ouvrière. Pour les ouvriers du début des années cinquante, malgré les conquêtes de 1936-1946, l’expérience reste celle du manque, de la consommation réduite centrée sur l’alimentation, du logement précaire et vétuste.
 

Le parti de la classe ouvrière

Au fond, jusqu’au tournant de 1953-1955 en tout cas, la pauvreté prolétaire reste ancrée dans le quotidien et les représentations populaires. La conscience ouvrière fonctionne sur le registre du « eux » et « nous », avec d’autant plus de facilité que les ouvriers se meuvent dans un espace qui n’a rien de paradisiaque. De la grande grève de novembre 1938 jusqu’à celle de Saint-Nazaire en 1955, en passant par les grèves des mineurs de 1941, 1947 et 1948, les conflits sociaux se caractérisent par leur extrême violence physique et par l’âpreté de la répression policière ou patronale, dans la continuité des cycles héroïques de l’histoire ouvrière3. Or dans ce contexte tumultueux (près de quinze millions de jours de grève entre 1946 et 1955), la CGT et le PCF sont les organisations les mieux installées et les plus visibles.

Il y a ainsi, jusqu’au milieu de la décennie 1950, une incontestable porosité entre la sociabilité ouvrière, centrée sur les valeurs familiales, sur la solidarité du travail et sur la proximité territoriale des petites villes ouvrières et des banlieues d’une part et, d’autre part, la sociabilité militante, syndicale ou partisane. Il y a rencontre entre la culture populaire binaire du « eux » et du « nous » et l’univers belliqueux du « camp contre camp ». Les enquêtes de l’époque témoignent de ce syncrétisme. En 1952, l’IFOP indique que 64 % des électeurs communistes espèrent voir le communisme s’établir et que 67 % appellent de leurs vœux une majorité absolue pour le PCF. Ces électeurs fortement politisés adhèrent à la rigueur centralisée du parti, dont 42 % considèrent même qu’elle pourrait être « renforcée ».

L’électorat n’est certes pas prêt, comme le noyau dirigeant en 1949, à soutenir l’Armée rouge en cas de conflit entre la France et l’URSS, mais 74 % approuvent le refus soviétique du plan Marshall et 47 % pensent que l’on vit mieux en URSS qu’en France, tandis que 61 % sont persuadés que les États-Unis préparent la guerre. Jusqu’aux années soixante, l’électorat conserve une stabilité et un profil idéologique qui, en 1963 encore, font dire à Pierre Fougeyrollas, un philosophe qui a quitté le parti en 1956, que la « conscience communiste » est la « conscience partisane par excellence ».
 

Premières fissures

Pourtant, cet équilibre exceptionnel se lézarde au milieu de la décennie 1950. Une phase se dessine alors, qui combine le redéploiement du capital vers les industries « légères », l’essor de la consommation « fordiste », la salarisation, la féminisation et l’urbanisation accélérée du territoire français. La marque de la pauvreté n’a pas disparu de l’espace populaire ; mais sa forme extrême commence à reculer, lentement puis de plus en plus vite, dans la seconde moitié des années 1950. Or, face à cette évolution dont il redoute les effets perturbateurs, le groupe dirigeant communiste se cabre dès 1953, Thorez en tête. La réalité économico-sociale change ? Faux : le monde ouvrier, plus pauvre que jamais, continue de se « paupériser ». Quant à l’identité partisane, elle ne doit pas changer d’un iota. Tout écart avec le corpus doctrinal du stalinisme à la française est un cadeau à la social-démocratie, une manière de donner raison au Blum de 1920. C’est pourquoi Thorez et ses camarades refusent violemment la déstalinisation esquissée par Nikita Khrouchtchev entre 1953 et 1961. Tout se passe comme si les sommets du parti voulaient à tout prix, par un acte appuyé de dénégation, conjurer l’évolution sociale émergente et naturaliser l’équilibre sociologique et culturel péniblement installé entre 1934 et 1946. Années Thorez, années Gabin, années Picasso : le PCF rêve d’arrêter sur cette image la marche du temps.

Les années 1949-1956 sont les années du mythe heureux d’une Union soviétique stalinienne montrant à l’humanité les chemins de l’avenir, sous la houlette de Staline, son « guide génial ». La symbiose de la révolution russe et du mouvement révolutionnaire français poursuit le chemin engagé entre 1934 et 1939. La Marseillaise et l’Internationale rythment les manifestations politiques et syndicales. L’action du Conseil mondial de la Paix, créé en 1948, continue la lutte pour la paix menée au temps du Front populaire. L’action contre la présence américaine et contre l’American way of life poursuit le combat de la Résistance. En sens inverse, la droite, les gaullistes et les socialistes de le « Troisième force » sont dans la lignée des « 200 familles », des ligues fascisantes et des « Coblençards »4.
Quand le mythe s’écorne en 1956, les communistes font face comme ils peuvent. Les violentes manifestations anticommunistes qui suivent le drame hongrois raniment tout naturellement les souvenirs des années trente. Encore et toujours l’adversaire reste le fascisme. Encore et toujours, l’URSS et les communistes sont dans le bon camp. « Le fascisme ne passera pas » : jusqu’au début des années soixante, le PCF usera de cette symbolique mobilisatrice, avant d’en mesurer l’inefficacité… et de revenir à l’antagonisme plus solide de la droite et de la gauche.
 

Roger Martelli, historien, co-directeur de Regards

 

1 En 1956, le PCF affirme qu’il gère 1 600 communes.

2 Le socialiste Jules Moch est ministre de l’Intérieur dirige l’effort répressif pendant les grèves de 1947-1948.

3 Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, XIXe-XXe siècle, Seuil, 1986

4 La ville rhénane de Coblence était le point de ralliement de l’émigration contre-révolutionnaire entre 1789 et 1795.

 

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