Disparition d'Émile Breton, critique passionné et membre fidèle de Ciné-Archives
Émile Breton était né le 27 février 1929 à Alès, dans ce coin rouge des Cévennes marqué par les luttes ouvrières des mineurs. Un grand-père paternel maréchal-ferrant, un autre vannier d’origine gitane côté maternel ; son père était comptable et sa mère tenait une petite épicerie. Pendant l’occupation, sa mère aide la résistance et adhère, à la Libération, au PCF.
C’est pendant les grandes grèves de 1947 qu’Émile Breton adhère au Parti communiste. Il entreprend des études de droit à Montpellier mais quitte l’université lorsque éclatent les grèves des mines d’Alès en 1949, C’est là qu’il faut être, c’est là que tout se joue estime-t-il. Il décide de se consacrer au militantisme et, pour survivre, sera un temps bûcheron avant d’entrer à la Voix de la Patrie, journal communiste clandestin créé pendant la Résistance. Lorsque le journal cesse de paraître, il intègre la rédaction de la Marseillaise.
Il écrit pour la rubrique sociale, les « infos génés » comme on disait encore il y a peu, écrit des billets politiques et, au début des années soixante, commence de s’intéresser au cinéma. Au sein de la rédaction de l’organe communiste marseillais, les discussions politiques sont animées mais instructives. En 1971, Breton entre à la Nouvelle critique (NC), revue communiste à destination des intellectuels puis à France Nouvelle qui sera fermée en 1980.
Dans la foulée de mai 68, les rédactions de NC et des Cahiers du cinéma travaillent ensemble mais le tournant maoïste des Cahiers provoque la rupture. Années 80, Breton écrira dans Révolution, aux côtés de Luce Vigo, la fille de Jean Vigo. Puis dans Regards après la fermeture politique de « Révo » comme on disait. Enfin, à partir de l’an 2000, il intègre l’Humanité où sa chronique cinématographique durera jusqu’en 2022.
Multiples expériences et fructueuses rencontres
Sa passion pour le cinéma s’est affûtée au fil de ses expériences et de ses rencontres. Expériences comme celle menée au Festival d’Avignon où, dès 1973, avec la complicité de Jean-André Fieschi, Jean-Patrick Lebel, Pascal Aubier et Louis Daquin, à la fois réalisateurs et critiques, ils organisent plusieurs Semaines du cinéma français ainsi qu’une semaine du Cinéma soviétique.
Par la suite, dans les années 80, il organisera des Quinzaines du Cinéma Soviétique à Beaubourg. Breton ferraille sec avec ses confrères. Il entretiendra des amitiés solides avec certains, dont Bernard Einsenschitz, et des inimitiés durables. Il a renouvelé la critique communiste du 7e art, poursuivant le travail entamé par Georges Sadoul. Ce n’est plus le message qui détermine le point de vue critique estimait-il, mais la forme. Comme le disait Orson Welles, pour faire passer les messages, il y a la Poste.
Émile Breton pouvait piquer des colères de titan mais il était d’une droiture, d’une rigueur et d’une exigence rares. C’était une encyclopédie du cinéma à lui tout seul. Avec Luce Vigo, sa deuxième épouse, ils vont tous les deux travailler d’arrache-pied pour préserver la mémoire de Jean Vigo.
Une plume rigoureuse et facétieuse, alerte et joyeuse
Relisez ses chroniques cinématographiques hebdomadaires publiées dans l’Humanité. Elles sont exigeantes et d’une hospitalité sans faille à l’égard de toute une génération de cinéastes dont il pressent le talent. Il traquait les qualités, voyait les faiblesses et, en écrivant, instaurait un dialogue croisé et indéfectible entre lui, un auteur et les lecteurs. Breton était un passeur comme nul autre, toujours curieux et avide de découvrir de nouveaux territoires cinématographiques. Il avait la plume rigoureuse et facétieuse, alerte et joyeuse.
Il ne dispensait pas son savoir, il le partageait, dans un enthousiasme contagieux. Il aimait les cinéastes, allait à leur rencontre, n’hésitait pas à revoir plusieurs fois le film sur lequel il devait écrire pour être sûr que tel plan était bien là où il l’avait vu. Jusqu’au bout, même quand il ne pouvait plus se rendre aux projections, il regardait les films chez lui, dans cet appartement magnifiquement désordonné qui croulait sous les livres, les films, les tableaux et des objets ramenés de ses nombreux voyages.
Breton a croqué la vie à pleines dents. Physique de docker, toujours vêtu d’un bleu de travail, ses éternelles claquettes aux pieds été comme hiver, il était imposant malgré son cou tordu marque des coups de matraque des CRS au cours d’une manifestation organisée par le parti communiste et la CGT à Marseille, dans les années 50.
Cinéma et Politique, un imaginaire et un engagement
Avec Jackie Raynal, sa dernière compagne, ils s’étaient mariés le 23 décembre 2021, dans la Mairie du 19e arrondissement. Les jeunes mariés irradiaient de bonheur. Plus tard, nous avions fêté son anniversaire, en compagnie de ses amis, Bernard Einsenschitz, Françoise Risterucci, Jean-Pierre Léonardini et la jeune équipe des Cahiers du cinéma. Il aimait parler cinéma et politique… et inversement. Il était plus jeune que le cinéma mais il est de ces enfants du siècle qui se sont forgé un imaginaire et un engagement politique en fréquentant aussi bien les réunions de cellules enfumées que les salles obscures de cinéma.
Marie-Josée Sirach
A lire sur le site de l'Humanité : https://www.humanite.fr/culture-et-savoir/cinema/mort-demile-breton-critique-et-cinephile