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ENTRETIEN AVEC LÉON MAUVAIS

© Ciné-Archives. Tous droits de reproduction ou de modification interdits.
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Dans cet entretien filmé le soir du 28 mai 1968, au lendemain des accords de Grenelle, Léon Mauvais, le secrétaire de la CGT, s’exprime face à Marcel Trillat sur les grèves et les négociations en cours, l'état de la société gaullienne et le rôle de son syndicat. Il revient également sur sa jeunesse et ses débuts dans le monde du travail, avec des idées plutôt anarchistes, puis évoque le 50e anniversaire de l'URSS et les mouvements des étudiants en Mai 1968.

Cette entretien réalisé à chaud a néanmoins été soigneusement préparé. En ce qui concerne les grèves, les négociations et la position de la CGT, Léon Mauvais semble réciter un texte appris par coeur. La parole est plus libérée lorsqu’il revient sur son parcours professionnel et militant. Secrétaire de la CGT depuis 1953 et de la Fédération CGT de l’Énergie depuis 1956, Léon Mauvais entre à l’usine de roulements à billes RBF (qui devint SKF) à Ivry-sur-Seine à l’âge de treize ans “et deux mois” précise-t-il. Il y reste deux ans puis travaille à la Compagnie des lampes à incandescence. En juin 1917, il participe à sa première grève et adhère à la CGT ce qui lui vaut d’être renvoyé. C’est dans ces années-là qu’il côtoie des ouvriers anarchistes qui le sensibilisent à leurs idées, idées dont il assure dans l’entretien s’être débarrassé définitivement depuis. Après un premier séjour en URSS en 1930, il est chargé en 1931 de suivre les grandes grèves des textiles du Nord, à Roubaix. Il évoque à deux reprises cette expérience dans l’entretien. Il revient également sur ses voyages en Union soviétique, dont le dernier, à l’occasion du 50e anniversaire de l'URSS, lui a permis de constater “les progrès énormes” de la révolution. L’entretien se termine par l’évocation du succès de la grève et de la manifestation du 13 mai, initiées par la CGT.


Mots-clés : Mai 68, CGT, CFDT, FEN, FO, grèves, démocratie, gaullisme, anarchistes, URSS / Union soviétique, jeunesse, étudiants, ouvriers, barricades, manifestations, violences policières, négociations, révolution


Lieux de consultation : Ciné-Archives, Archives départementales de la Seine-Saint-Denis, Forum des images
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Clap “CGT 28 mai 1/2". L’état de la grève ------ Marcel Trillat de dos sur la droite : “On est aujourd’hui 28 mai à sept heures du soir. Où en est la grève ?”. Léon Mauvais répond que la grève est toujours aussi puissante, toujours aussi unie, qu’il y a eu certains renforcements dans quelques usines qui n’étaient pas en grève. [zoom avant sur Léon Mauvais : plan rapproché] Léon Mauvais précise que des négociations se sont engagées aujourd’hui avec les chambres patronales et avec les représentants du gouvernement pour la fonction publique. [zoom avant : gros plan] Les grévistes exigent du gouvernement et du patronat de nouvelles concessions quant aux revendications mais également des changements profonds. Marcel Trillat l’interrompt pour lui demander une précision sur ce type de changement : “Des changements politiques ?” ce que confirme Léon Mauvais ajoutant que l’opposition au gaullisme se développe de plus en plus. La revendication de substituer au pouvoir gaulliste un gouvernement démocratique s’affirme “encore plus dans le moment présent”.
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La position de la CGT ------ Marcel Trillat : “On accuse la CGT, dans certains milieux, de se refuser à durcir la grève et à la politiser ?” Léon Mauvais : “Mais c’est ridicule.” [noir de 00:02:19 à 00:02:24]
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Clap “CGT 28 mai 1/3" ------ Marcel Trillat repose sa question : “Léon Mauvais, dans certains milieux, on accuse la CGT de vouloir freiner la grève, freiner le mouvement.” Pour Léon Mauvais, “c’est ridicule”, la CGT appelant les travailleurs à renforcer leur unité et leur lutte. [zoom avant : gros plan] Par ailleurs, Léon Mauvais réaffirme que la CGT a la volonté de contribuer au changement dans le pays afin d’obtenir une véritable démocratie. Il rappelle qu’il y a dix ans, lorsque le gaullisme est arrivé au pouvoir, la CGT a été “sans doute” la seule organisation syndicale à mener la lutte et à dénoncer le caractère personnel et monopolistique du gaullisme. Il précise que lors du congrès de la CGT il y a cinq ans, “nous avons insisté pour que toutes mesures soient prises en vue de réaliser l’union des forces de gauche” [note : Léon Mauvais ne précise pas l’année mais il s’agit du 34e congrès qui s’est tenu à Saint-Denis (Seine) du 12 au 17 mai 1963 et dont le thème central était “l’unité”]. [coupe] C’est également l’unité qui est réaffirmée dans le communiqué de la CGT de ce 28 mai 1968.
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Une situation révolutionnaire ? ------ Marcel Trillat : “Dans les mêmes milieux, on prétend qu’il y a une contradiction entre la grève, la lutte revendicative, et la lutte politique, en disant que les revendications sont dépassées, qu’on n’en est plus là, que la situation est révolutionnaire et qu’il faut passer à un autre stade.” Pour Léon Mauvais, “Ça, ce sont des enfantillages.” Il précise que la CGT lutte pour les revendications de la classe ouvrière et dans le même temps pour un gouvernement populaire et démocratique.
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La satisfaction des revendications ------ Marcel Trillat : “Les revendications qui sont posées actuellement par 9 millions, 10 millions de grévistes, est-ce que vous pensez que, matériellement, le gouvernement actuel et le régime capitaliste actuel puissent les satisfaire ?” [zoom arrière : plan poitrine sur Léon Mauvais] Pour Léon Mauvais, c’est oui, sans hésitation. [coupe] Marcel Trillat demande alors si le régime capitaliste peut être aménagé et peut être viable pour les travailleurs ce à quoi Léon Mauvais répond que la défense des revendications doit être la préoccupation du mouvement.
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L’apprentissage du militantisme par les jeunes générations ------ Marcel Trillat demande à Léon Mauvais : “Pour le cas où les grévistes obtiennent satisfaction sur le plan social, est-ce que vous pensez qu’ils sortiront de cette grève avec simplement ce changement dans leur situation sociale ? N’y aura-t-il pas autre chose ?” [coupe] Il lui demande également si cette grève n’est pas un moyen pour les jeunes travailleurs “qui n’ont jamais participé à quoi que ce soit” de faire leur apprentissage du militantisme. Pour Léon Mauvais, c’est incontestablement le cas. Il prend comme exemple celui de ses deux dernières filles de 20 ans, l’une lycéenne, l’autre qui apprend les langues orientales, montrant qu’il a pu constater un intérêt de celles-ci pour les luttes ces deux dernières semaines. Il précise qu’”à chaque lutte des travailleurs, il y a de nouveaux, de nouvelles qui viennent dans le mouvement et surtout parmi les jeunes.”
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Les nouveaux adhérents à la CGT ------ Marcel Trillat demande des précisions sur le nombre de nouveaux d’adhérents à la CGT. Pour Léon Mauvais, il y a au moins 2 000 nouveaux adhérents. Il précise qu’il est difficile d’avoir un chiffre précis car dans chaque union départementale, de nouvelles adhésions sont enregistrées chaque jour. Il prend pour exemple une union départementale parisienne qu’il a appelé la veille et qui lui a précisé qu’un millier de nouvelles adhésions ont été enregistrées.
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Un débordement par la base ? ------ Marcel Trillat lui demande si la CGT n’est pas débordée par sa base depuis le début. Pour Léon Mauvais, “Ça c’est encore des campagnes de mensonges et de calomnies.” Il rappelle que la CGT a été la seule organisation syndicale à lutter contre le gaullisme. “En 1959, nous avons eu mille difficultés pour rassembler la classe ouvrière.” La CGT a lutté contre les attaques du pouvoir gaulliste contre la sécurité sociale et l’a fait reculer. Mais nombreuses difficultés à surmonter. Développement des luttes ces deux dernières années grâce à un accord signé avec la CFDT le 10 janvier 1966. [noir de 00:07:58 à 00:08:11]
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L’expérience militante de Léon Mauvais ------ Clap “CGT 28 mai 1/4". Marcel Trillat fait remarquer à Léon Mauvais qu’il a du mal à parler à voix basse ce à quoi Léon Mauvais répond qu’il a l’habitude, de par son expérience, de parler très fort (en effet, autrefois, il n’y avait pas de micro). Il précise qu’il a déjà eu des extinctions de voix, notamment lorsqu’il dirigeait des grèves il y a plus de trente ans. Marcel Trillat lui demande par combien de personnes il s’est fait entendre. Léon Mauvais répond que ça dépend des endroits, du vent, et estime qu’il a pu se faire entendre par 3 000 personnes en même temps au maximum. Il donne un exemple d’une manifestation à la Butte rouge au Pré-Saint-Gervais en 1927, alors qu’il était secrétaire permanent de son syndicat. À cette époque, il y avait 7 ou 8 tribunes et les orateurs se relayaient : ils allaient d’une tribune à une autre. En 1931, lors de la grève du textile dans le Nord - grève qui a duré 13 semaines - il fallait s’adresser parfois à 15 000 personnes, sans micro. Pour palier aux difficultés techniques de l’époque, les militants utilisaient aussi bien l’oral que l’écrit : tracts, déclarations, compte rendus.
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La jeunesse “anarchiste” de Léon Mauvais ------ Marcel Trillat aborde la question des attaques des jeunes anarchistes et gauchistes et en profite pour demander à Léon Mauvais s’il n’a pas été lui-même un peu anarchiste dans sa jeunesse. Léon Mauvais en convient. Il revient sur son parcours syndical. Il a adhéré en 1917 à la CGT. Il travaillait aux lampes et précise qu’il avait aussi travaillé aux roulements à billes, “maintenant la SKF”, pendant deux ans. Il indique qu’il a commencé à travailler à l’âge de “13 ans et deux mois”. Dans les ateliers où il était, il y avait des délégués ouvriers. “Généralement, c’étaient des anarchistes qui s’étaient débrouillés pour ne pas aller à l’armée.” “Ils ont sauté sur des jeunes comme nous pour les façonner.” “Nous acceptions leurs idées”. Léon Mauvais rappelle qu’il y avait une réaction parmi les travailleurs et les jeunes contre “la trahison du parti socialiste de l’époque et de Jouhaux qui dirigeait la CGT”. C’était une “réaction presque naturelle contre l’attitude de ceux qui avaient parlé de grève générale si la guerre se déclenchait et la guerre s’étant déclenchée, il n’y a pas eu de grève générale”. Léon Mauvais dit en souriant qu’il a mis quelques années à se débarrasser de ces idées anarchistes, “même anarcho-syndicalistes, je ne m’en cache pas” et qu’il espère s’en être débarrassé définitivement aujourd’hui.
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L'impatience de la jeunesse et la révolution ------ Marcel Trillat questionne Léon Mauvais sur l’impatience quant à la révolution qui ne vient pas. Léon Mauvais répond qu’il est “à la fois impatient et patient”. Comme tout militant, il espère “voir un développement plus important du mouvement [...] un changement radical de la société”. Or, “ce n’est pas si simple”. “Entre le désir et la réalité, il y a des fois un fossé, sinon plus.” Léon Mauvais explique qu’il est patient et qu’il faut développer la conception révolutionnaire “en ayant conscience que la révolution ne se fait pas comme ça, en appuyant sur un bouton, mais en créant les conditions pour cela”.
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L’Union soviétique ------ Léon Mauvais évoque les réalisations de l’Union soviétiques et des pays socialistes : “J’ai eu la grande joie d’être invité au 50e anniversaire de la Révolution russe et j’ai vu, j’ai pu mesurer [...] les progrès énormes.” Il fait une comparaison avec sa première visite en Union soviétique qui datait de 1930.
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Le réformisme ------ Marcel Trillat lui demande : “Quand on vous reproche d’être un réformiste, qu’est-ce que vous en pensez ?” ce à quoi Léon Mauvais répond que “Ça, ça me laisse froid.” “Nous sommes des révolutionnaires qui voient les réalités.”
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Les barricades ------ Marcel Trillat demande à Léon Mauvais s’il a été voir les barricades. Léon Mauvais répond qu’il en a vu, “comme ça, en passant en voiture” mais qu’il ne s’est pas déplacé spécialement pour “voir de près”. Il n’a pas été impressionné par ces barricades. Il revient sur la grève des ouvriers du textile en 1931 et évoque les barricades édifiées alors dans la rue des Longues Haies à Roubaix, rue qui n’existe plus précise-t-il (elle a été détruite). “C’est pas les premières barricades que j’aurai vues, vous voyez.”
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Les manifestations étudiantes ------ Marcel Trillat lui demande s’il admet que les manifestations étudiantes ont servi de détonateur à la crise. Pour Léon Mauvais, elles ne sont pas un détonateur. Il revient sur les efforts de la CGT les dernières semaines pour développer le mouvement revendicatif et ouvrier.
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Le 13 mai ------ Marcel Trillat lui demande alors s’il s’attendait à ce qu’il y ait autant de monde le 13 mai. Léon Mauvais répond que “oui, absolument” et ajoute que c’est la CGT qui a “pris l’initiative, le samedi matin [le 11 mai], de réunir les centrales en vue d’organiser une grève de 24 heures avec des manifestations dans tout le pays pour non seulement affirmer notre solidarité avec les étudiants, non seulement protester contre les attaques policières, mais en même temps pour nos revendications.” “Nous avons été à la base de cette initiative du mouvement, de la grève générale et des manifestations du 13 mai.” [noir de 00:17:26 à fin (00:17:49)] “Nous avons eu des appels de la CGT, de la CFDT et de la FEN” et aussi “des appels timides [...] mais quand même appréciables de Force ouvrière”. “Et dans la mesure où les organisations commençaient à réaliser un certain front syndical commun, moi j’étais certain qu’il y aurait beaucoup de monde.”

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