La grève des métallurgistes de l’usine Rateau à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) est une des premières grandes luttes contre une politique de restructuration et de liquidation d’entreprises engendrée par le 6e plan. Pendant deux mois, du 31 janvier au 29 avril 1974, les salariés ont occupé leur usine pour défendre leur emploi et s’opposer à la mainmise de la Compagnie générale d’électricité (CGE Alsthom).
L’usine Rateau produit des turbines à vapeur, à gaz, des compresseurs, du matériel hydraulique et des ventilateurs. Ses techniques et la qualité de sa production sont mondialement réputées. Suite au rachat par la CGE en 1970, des parties importantes de l’usine sont progressivement fermées, telles que la fonderie de précision, dans le seul but de maximiser les profits. Les ouvriers se mettent en grève le 31 janvier 1974 et occupent dès lors leur usine pour protester contre les licenciements. Les équipes d’Unicité viennent filmer la lutte des Rateau début avril, après neuf semaines de grève et aux lendemains du décès de Georges Pompidou, le 2 avril.
Le film est une sélection de rushes mis bout à bout afin de montrer différentes facettes de la lutte à Rateau.
Il est composé de sept séquences : la première est une interview par Marcel Trillat d’un technico-commercial syndiqué à la CGT qui travaille chez Rateau depuis 12 ans. Celui-ci explique les spécificités de l’usine et comment les conditions de travail se sont dégradées depuis 1968 suite au 5e plan (notamment lors de la prise en main de l’usine par le groupe Schneider) et au 6e plan (prise en main par la Compagnie générale d’électricité, CGE).
Dans une deuxième séquence, un ouvrier détaille le savoir-faire Rateau et évoque la suppression de près de 200 postes d’usinage dans les années à venir.
Une troisième séquence présente la visite des ateliers par les ouvriers en grève, à l’occasion d’une journée portes ouvertes. Une réunion syndicale des délégués de la CGT fait l’objet d’une courte séquence suivie de l’AG des salariés de Rateau du vendredi 5 avril.
À la suite de celle-ci, une séquence assez longue (20 minutes) présente une réunion des militants et délégués CGT.
Le bout à bout s’achève sur la journée portes ouvertes du 6 avril, en particulier sur le meeting qui se tient dans la cour de l’usine et l’intervention d’Henri Krasucki qui rappelle que les élections peuvent être un moyen de l’action syndicale et revendicative.
À noter : dans une courte séquence filmée dans la cour de l’usine, un militant CGT précise aux salariés rassemblés que les personnes qui filment sont des “camarades d’Unicité qui tournent bénévolement un film pour la CGT”.
Informations
Réalisation : Jacques Comets
Personnalités : Georges Séguy (cité), François Ceyrac (mentionné), Ambroise Roux (mentionné), Georges Pompidou (mentionné), Henri Krasucki
Lieu : La Courneuve (Seine-Saint-Denis)
Mots-clés : Grève, métallurgie, nucléaire, Fessenheim, CNPF, CGT, CFDT, CGC, Lip, sécurité de l’emploi, salaires, lutte, programme commun de gouvernement, Compagnie générale d’électricité, logique des monopoles, élections présidentielles de 1974
Lieux de consultation : Ciné-Archives, Archives départementales de la Seine-Saint-Denis, Forum des images
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[Séquence 1] ------
Interview par Marcel Trillat d’un technico-commercial, délégué CGT. Les deux hommes se tutoient.
L’interview se déroule dans la salle du conseil de la direction de l’usine Rateau.
Plan moyen : Marcel Trillat est de dos, face à son interlocuteur.
Le journaliste demande au technico-commercial depuis combien de temps il travaille chez Rateau. L’homme explique que cela fait 12 ans (il est entré dans l’usine en août 1962, à la mort de son père qui était un dirigeant de la fédération des cheminots CGT - adjoint de Séguy). Il explique ensuite en quoi consiste son travail : il établit des devis à la fois technique et commercial sur des réalisations de matériel hydraulique.
Marcel Trillat lui demande d’expliquer “ce qu’est Rateau”. L’homme semble alors réciter un texte : “Rateau, une des plus grandes entreprises de la Seine-Saint-Denis qui réalise des turbines à vapeur, à gaz, des compresseurs, du matériel hydraulique, des ventilateurs. Ses techniques bénéficient d’une main-d’oeuvre hautement qualifiée, à la fois une main-d’oeuvre professionnelle et une main-d’oeuvre d’ingénieurs et techniciens.”
Marcel Trillat lui demande si les techniques ont été inventées “ici, chez Rateau” ce à quoi l’homme répond par l’affirmative et précise que l’entreprise a de nombreuses licences en Europe (Allemagne RFA, Italie, Roumanie). Les matériaux sont de qualité et sont appréciés dans le monde entier. Concernant la demande, les appels d’offre ne manquent pas mais l’homme précise que “parfois, la direction laisse passer des marchés”.
Zoom avant : plan mi-moyen sur le technico-commercial qui évoque la technique Rateau. Marcel Trillat lui demande ce qu’il en est des patrons. L’homme répond que le patron est là pour satisfaire ses intérêts et non ceux des travailleurs.
Plan rapproché sur le technico-commercial.
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Marcel Trillat, hors champ, demande quand les choses ont commencé à changer.
Dès 1958, répond le technico-commercial, les conditions de travail s’aggravent. Le début du 5e plan a engendré la concentration industrielle des entreprises ce qui s’est traduit par la prise en main et le contrôle de Rateau par le groupe Schneider. Conséquences : près de 1 000 emplois ont été supprimés. Cela s’est poursuivi et aggravé avec l’application du 6e plan et la prise en main par la Compagnie générale d’électricité (CGE) en 1970. Toutes les décisions sont désormais prises au niveau de la CGE par le président-directeur général Ambroise Roux qui est également le vice président du patronat français.
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Marcel Trillat demande “comment s’est traduit la prise en main sur Rateau par la CGE ?” Le technico-commercial lui répond que ça a été “un véritable gâchis, un massacre” et se lève pour montrer sur le plan cadastral accroché au mur derrière lui quelles sont les parties de l’usine qui ont été fermées ou s'apprêtent à l’être. Il explique que cela a commencé en 1972 avec la fermeture de la fonderie (120 personnes) ; la fonderie de précision, très importante pour l’entreprise, doit également fermer. Puis fermeture de l’école d’apprentissage où la technique est transmise aux ouvriers, de la chaudronnerie (100 personnes, prévue pour fin septembre 1974) et du foyer d’accueil où vivent essentiellement des célibataires et de nombreux travailleurs immigrés. La vente des parkings est aussi prévue. La direction avait prévu la vente totale de l’usine pour réaliser une opération de spéculation immobilière et financière mais cela n’a pas été possible. Rateau est un exemple de la logique des monopoles qui consiste à sacrifier des branches entières de l’économie au nom de la recherche du profit maximum et immédiat. Or, l’usine a, au contraire, besoin d’être maintenue et développée, pour l’économie nationale.
Zoom avant [coupe puis noir].
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[Séquence 2] ------
Dans l’atelier turbine. Gros plan sur un panneau dont l’écriture manuscrite précise : “Rotor haute précision Fessenheim (nucléaire) en cours montage”.
Un ouvrier explique qu’il s’agit d’un rotor (partie mobile) pour la première centrale nucléaire qu’est Fessenheim. La fabrication en a été confiée à Alsthom qui travaille sous licence General Electric Corportation (GEC). L’ouvrier montre les deux techniques très différentes utilisées pour le montage des ailettes : la technique Rateau d’une part, la technique américaine de l’autre. L’ouvrier explique qu’il est nécessaire d’appliquer un cerclage sur les ailettes fabriquées selon la technique américaine.
L’ouvrier présente ensuite la partie inférieure du stator (la partie de la turbine qui ne bouge pas) et les redresseurs de vapeur (les diffuseurs) fabriqués à la fonderie de précision chez Rateau (dont la technique a fait ses preuves et est de réputation mondiale). Or, GEC a demandé l'arrêt de la fonderie de précision donc de la technique Rateau au niveau des diffuseurs. C’est une des raisons de la grève chez Rateau.
L’ouvrier évoque ensuite le problème des reclassements suite à la fermeture de la fonderie de précision.
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Atelier d’usinage : travelling sur les postes de travail.
L’ouvrier, hors champ, explique que 150 à 200 postes d’usinage doivent être supprimés de 1974 à 1977 soit la disparition de 300 à 400 compagnons, les ouvriers de Rateau travaillant en équipe double (double poste). Reconversion prévue au montage. Or, pour l’ouvrier, c’est une aberration, le métier de monteur étant très long à apprendre et exigeant de l’expérience.
Un panneau posé dans l’atelier indique que “Dans les trois travées de cet atelier, le plan de la direction prévoit 150 à 200 suppressions de postes.”
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Un technicien d’Unicité annonce que c’est la 3e prise pour cette séquence dans l’atelier d’usinage.
L’ouvrier, hors champ, reprend son explication sur les suppressions de postes. Il précise ici que les compagnons tourneurs fraiseurs sont hautement qualifiés.
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[Séquence 3] ------
Visite des ateliers par le public (famille avec enfants), à l’occasion d’une journée portes ouvertes. Les salariés de Rateau font office de conférenciers. Ici, un technicien explique comment sont fabriqués les rotors.
En fond, le bruit des machines en fonctionnement.
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Autre scène de visite de l’usine. Un ouvrier explique que chez Rateau les ouvriers travaillent en trois huit.
[coupe puis noir]
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[Séquence 4] ------
Réunion syndicale CGT. Le technico-commercial s’exprime sur la démarche de l’avant-veille au siège du CNPF. Il évoque également la lettre de Séguy.
Un autre homme prend la parole sur la sécurité de l’emploi, les salaires et évoque la campagne électorale [il s’agit des élections présidentielles, dont le premier tour est le 5 mai, suite au décès de Georges Pompidou].
Une troisième personne - l’ouvrier vu précédemment dans la visite de l’atelier à la séquence 2 - souhaite que tout cela soit discuté à un niveau plus large, au niveau de l’AG, ce qui lui apparaît davantage mobilisateur.
Gros plan sur la une de La Nation, article “La faucille et le “Rateau” ou le sort des non-grévistes”.
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[Séquence 5] ------
EXT. Les salariés sont rassemblés dans la cour de l’usine. Gros plans sur quelques visages.
Une voix masculine hors champ s’exprime dans un micro : elle explique que les personnes qui filment sont des camarades d’Unicité qui “tournent bénévolement un film pour la CGT”. Applaudissements.
Un délégué CGT lit un message qui dit que “Les travailleurs de la société Rateau, en grève depuis neuf semaines, réunis en assemblée générale aujourd’hui vendredi 5 avril, demandent que la campagne électorale qui s’engage tienne compte de la défense des intérêts des travailleurs et notamment des problèmes posés par leur conflit, à savoir : non au démantèlement de la société Rateau, non à la politique de désindustrialisation de la région parisienne, non aux licenciements. Ils souhaitent dans cet esprit que soit désignée une candidature unique des partis de gauche sur la base des options contenues dans le programme commun de gouvernement.” Le délégué propose que ce message soit adressé, au nom des travailleurs de la société Rateau, sans sigle syndical, à l’ensemble des partis de gauche signataires du programme commun. Vote à main levée : une abstention et un avis contraire.
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[Séquence 6] ------
Réunion des militants et délégués CGT.
Un homme se lève pour dire que les négociations sont rompues et que la caisse de grève est vide. Il demande ce qu’il faut faire et s’il y a la possibilité de produire.
Un délégué CGT confirme qu’il y a un problème de solidarité. Les organisations CGT ont été relancées à ce sujet. En raison des élections, la focale s’est déplacée. Il faut faire parler de la grève, il faut collecter à la porte des entreprises pour relancer la solidarité dans la région parisienne. Actuellement (“hier et aujourd’hui”), congrès de l’Union syndicale de la métallurgie région parisienne CGT : la solidarité pour Rateau y a été rappelée.
La reprise de l’activité pose un problème de sécurité : s’il arrive un accident, les ouvriers ne seront pas couverts.
Un autre délégué intervient pour évoquer l’absence de la CFDT à la table.
Charlot se lève pour parler de la CGC et évoque le cas du seul cadre CGC qui a fait grève à Lip.
Un homme demande si les commandes pour Eurodiff et la Chine ont pu être honorées. Le technico-commercial répond que la lutte n’a pas gêné la prise de commande des compresseurs. Il évoque ensuite la lettre de Séguy à Ceyrac parue dans la presse.
Un débat s’engage ensuite sur les journalistes et les caméras : faut-il les virer ? Un homme exprime son point de vue : pour lui, la lutte a besoin d’être relayée dans tous les médias, quels qu’ils soient, aussi il n’est pas favorable au fait de virer les journalistes dont la plupart sont par ailleurs syndiqués à la CGT. “Il ne faudrait pas que ça se retourne contre nous.”
Un autre homme demande à remobiliser les ouvriers, notamment pour la manifestation prévue la semaine suivante. Pour lui, la situation politique est nouvelle depuis la mort de Pompidou : il existe désormais une possibilité d’avoir un gouvernement de gauche.
Un délégué évoque la possibilité d’obtenir un règlement du conflit avant les élections si les ouvriers se remobilisent.
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[Séquence 7] ------
EXT. Repas dans la cour de l’usine à l’occasion d’une journée porte ouverte [le 6 avril]. Les gens sont venus en famille. Bruits de discussions, rires.
Meeting CGT/CFDT. Prise de parole d’un délégué CFDT qui revient sur les différentes fermetures et suppressions de postes depuis 1972. Discours de Henri Krasucki qui évoque le grand rassemblement de masse initialement prévu (avec des délégations de province notamment) mais non maintenu. Plan de la foule qui écoute le discours et des banderoles “Les syndicats CGT région lyonnaise”, “CGT Solidarité Rateau Rhône. Halte à l’arbitraire patronal”, “CGT SEMM Garantie de l’emploi et des avantages [...]”, panneau “Délégation de la Vienne”.
Henri Krasucki rappelle que les élections peuvent être un moyen de l’action syndicale et revendicative.
1972 Programme commun - Campagne électorale - Confédération Générale du Travail - Grève - Krasucki Henri - La Courneuve (93) - Lutte - Syndicat - Séguy Georges - Usine (bâtiment)